Le « Château » de La Jasse : une demeure aux mille vies.

Un château pour Jules Cazot.

Ce n’est pas vraiment un château, ni une forteresse médiévale… mais bien plutôt ce que l’on nomme un « Hôtel Particulier » ou une « Maison de maître ». Néanmoins, les habitants de La Jasse de Bernard l’ont toujours appelé « Château » depuis sa construction.

Cette grande demeure fut construite en 1880 par la Compagnie des Chemins de Fer et de Navigation d’Alais au Rhône et à la Méditerranée (A.R.M.).

Le bâtiment imposant sur plan pratiquement rectangulaire, témoigne de la richesse de l’époque par la somptuosité de l’architecture et l’exubérance du décor. Le parc est une réalisation magnifique aux arbres centenaires avec des bassins et un réseau d’eau qui représentent un véritable travail d’ingénieur. Il est ceinturé d’une haie de bambous géants.

La compagnie céda très vite ce « château » à son administrateur Jules Cazot, homme politique célèbre et connu dans la région, né à Alais en 1821. En contrepartie, Jules Cazot doit être présent à son conseil d’administration, présence qui ne pouvait que « rassurer » les investisseurs.

Natif d’Alès, où une rue porte encore son nom aujourd’hui, Jules Cazot était alors un homme politique connu : avocat, ardent républicain, président du conseil général, président de la cour de cassation, il combattit le Second Empire et fut même emprisonné. Puis la IIIème République le porta aux sommets de l’État[1] mais elle en fit aussi un personnage controversé, aux prises avec quelques affaires « douteuses »…

Ce fut le cas de la compagnie A.R.M., rapidement déclarée en faillite, en juin 1884. Plusieurs raisons à cela : d’abord des frais de construction beaucoup plus lourds que prévu (avec en particulier de nombreux ouvrages d’art) et surtout l’existence d’une concurrence acharnée avec la Compagnie P.L.M. (Paris-Lyon-Méditerranée) ; celle-ci exploitait, depuis 1840, la ligne La Grand’Combe-Alais-Beaucaire et transportait déjà la quasi-totalité du charbon du bassin minier alésien. La ligne d’Alais à Port-l’Ardoise fut donc finalement cédée à la Compagnie P.L.M. qui l’exploitera jusqu’à la fin des années 1930.

Quant aux administrateurs de la Compagnie A.R.M., ils furent condamnés à rembourser les actionnaires… mais Jules Cazot s’en tira avec seulement 10 000 francs-or à verser en dédommagement et… il conserva la propriété de sa résidence, bâtie grâce à l’argent des souscripteurs. Cette affaire l’obligea, néanmoins, à donner sa démission de Président de la Cour de cassation, le 14 novembre 1884. Il demeura, malgré tout, sénateur « inamovible » de 1875 à 1912 !

Jules Cazot ne résidera au « Château » qu’épisodiquement, appelé ailleurs par ses nombreux mandats et ayant l’essentiel de ses activités à Paris, mais il y mourut le 27 novembre 1912.

 

Un autre « Jules » récupère le château.

C’est en 1928, que cette belle demeure sera revendue par ses héritiers à un « autre » Jules…, M. Jules Mittard[2], un Maître-Mineur issu de l’École des Mines d’Alès, qui fit fortune dans les colonies d’Indochine. Ce qui explique les noms visibles sur les piliers en fer forgé qui encadrent le portail d’entrée : Tonkin et Annam, deux des cinq régions composant l’ « Indochine française », devenues une partie du territoire du Vietnam actuel[3]. L’origine de la construction de ce portail reste toutefois floue dans la mesure où son prédécesseur, Jules Cazot, était fier des conquêtes coloniales de la République alors que l’Annam et le Tonkin furent placés sous protectorat français en 1883.

Jules Mittard va mener « grand train » au château : en 1931, il n’avait pas moins de sept personnes à son service…M. Mittard, avec sa cohorte de serviteurs asiatiques, ses grosses voitures et son immense fortune accumulée, en quelques années, grâce aux mines indochinoises, ne passa pas inaperçu dans le secteur. Il menait une vie fastueuse au point de louer un train complet pour partir en vacances à la Baule. Il incita l’abbé de la paroisse Georges Beau, à réaliser, à la Jasse, face à l’école actuelle, la petite église Sainte Thérèse[4] en lui promettant de l’aider financièrement. Finalement, l’abbé dut financer cette chapelle en puisant dans sa fortune personnelle. Ce furent les grandes heures de la propriété jusqu’à un revers de fortune, qui obligea Jules Mittard à la revendre en 1933. Mais son nom restera attaché à cette demeure, que la plupart des habitants nomme encore « château Mittard ».

Le « château » fut ensuite acheté par une Compagnie minière, avant la Seconde Guerre mondiale. A partir de novembre 1942, suite à l’occupation de la zone « libre », le château fut réquisitionné pour loger un général allemand et son état major. Un poste de contrôle était installé sur la route d’Uzès, pour vérifier les papiers des personnes qui s’en approchaient.

 

Un édifice qui change de fonction après la Seconde Guerre mondiale.

Récupéré par les Houillères (nationalisées) à la Libération, l’édifice sera transformé en centre d’hébergement, après le retour des prisonniers de guerre et des déportés. C’est dès cette période, que la ferme attenante fut transformée en « Lazaret[5] » c’est-à-dire en infirmerie pour recevoir et soigner isolément les malades susceptibles de contaminer l’entourage. Il abritera, ensuite, dans les années 1946 à 1948, une « colonie sanitaire » destinée à accueillir les enfants de mineurs ayant souffert de malnutrition. Une trentaine d’enfants de 5 à 11 ans y séjournaient pendant un semestre, le temps de reprendre des forces. La cuisine et le réfectoire se trouvaient en sous-sol et les dortoirs au second étage. L’encadrement était assuré par une directrice assistée de monitrices ; une institutrice y fut même affectée pour ne pas interrompre l’enseignement scolaire ; une assistante-sociale et un médecin des Mines passaient régulièrement pour surveiller l’évolution de ces petits pensionnaires. En avril 1949[6], quelques mois avant la fin officielle du rationnement alimentaire[7], ce « pensionnat sanitaire » fut fermé.

Les Houillères réaménagèrent le château, vers 1950, en logements pour le personnel de direction ou d’encadrement. Les familles d’un Ingénieur des mines (encore !) et d’un médecin des mines furent les premiers occupants. Un ancien mineur et son épouse en assuraient l’entretien, lui comme jardinier et elle en tant que concierge.

Mais, au fur et à mesure que la production charbonnière s’amenuisait, l’immense patrimoine immobilier et foncier des Houillères fut mis en vente progressivement ; et c’est en 1968 que le château redevint une résidence privée peu fréquentée et souvent fermée.

Vendu en 1987, le château a été utilisé, jusqu’en 2023, par un cabinet médical installé au rez-de-chaussée et la grille du parc, souvent grande ouverte pour accueillir la patientèle, offre, à nouveau, aux regards passagers et furtifs, un paysage avenant.

[1] Il fut, entre 1879 et 1882, ministre de la Justice.

[2] D’autres sources mentionnent Jules Mitard (avec un seul T).

[3] Les trois autres étant la Cochinchine, le Cambodge et le Laos.

[4] Construite face à l’école René Deleuze, un panneau d’interprétation a d’ailleurs été consacré à l’église et à l’école.

[5] Vient de Lazare de Béthanie, personnage biblique dans l’entourage de Jésus-Christ et atteint d’une septicémie.

[6] Une autre source évoque 1948.

[7] Qui date du 1er décembre 1949.